Son seul impact, elle est chômée, fériée et payée. Comme le voulait le président Félix Houphouët-Boigny, la paix n'est ni un comportement ni une seconde religion en Côte d'Ivoire. Et dans son silence infini, il n'est pas en paix. Depuis son décès, le 7 décembre 1993, son repos éternel n'a cessé d'être troublé.

Une succession qui ne respecte pas la ligne du père fondateur

En effet, a-t-il rendu l'âme que son casting entre son premier ministre et son dauphin constitutionnel s'est révélé désastreux, quand Alassane Ouattara a tenté de court-circuiter Bédié pour lui ravir le pouvoir d'État. Le feu venait d'être mis aux poudres. Et la guerre des héritiers ne cessera de faire rage avec un seul objectif : jeter le bébé́ avec l'eau du bain et exterminer l'adversaire devenu ennemi, avec pour corollaire la perpétuelle menace sur la stabilité́ du pays.

D'un côté, pour neutraliser Bédié sorti vainqueur de la lutte successorale, le PDCI-RDA, héritage politique d'Houphouët-Boigny, est frappé par un schisme avec la naissance du RDR, en 1994. À sa création, ce parti d’Alassane Ouattara s'est assigné comme mission ou de faire disparaitre l'ex-parti unique ou de le réduire à sa plus simple expression. Et le Bédié bashing a participé de cette stratégie de diabolisation jusqu'au coup d'État du 24 décembre 1999.

De l'autre, ce fut la réponse du berger à la bergère. Et Alassane Ouattara sera dans l'œil du cyclone. Alors en exil, un mandat d'arrêt international sera lancé contre lui pour « faux et usage de faux dans les documents administratifs (ses cartes nationales d'identité́) ». Toute la direction de son parti, conduite par la secrétaire générale Henriette Dagri-Diabaté, sera condamnée, en novembre 1999, à deux ans de prison ferme au nom de la loi anticasseurs que le gouvernement Alassane Ouattara avait écrite opportunément pour poursuivre Laurent Gbagbo et les « démocrates », à l'issue de la marche du 18 février 1992.

Les jeux en coulisses des héritiers

Ce sont donc deux ennemis intimes. Leur mariage Potemkine, en 2005, pour se liguer contre Gbagbo, victime collatérale de leur guerre de tranchées, cachait des agendas secrets dans leur duplicité́. D'où̀ l'explosion en plein vol de leur alliance. Au pouvoir, Ouattara a voulu transformer le RHDP, la coalition de quatre partis au départ, en un parti politique sous son contrôle, dans le dessein de phagocyter le PDCI-RDA pour le faire disparaître de l'échiquier et faire de Bédié́ le Tancrède.

Par ses effets de manche, dont l'appel de Daoukro, Bédié, lui, espérait secrètement le retour de l'ascenseur pour réaliser le come-back du parti septuagénaire au pouvoir. Il échouera dans ses deals. Le PDCI-RDA et le prix Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix, dont il était le protecteur, ont payé le lourd tribut à cette rivalité toxique.

L'ex-parti au pouvoir va subir les coups de boutoir du RHDP avec les débauchages et l'État va boycotter le Prix UNESCO. Abiy Ahmed, le premier ministre éthiopien lauréat du Prix à son trentième anniversaire, ne recevra jamais sa récompense. De plus, le jury n'a pas siégé́ durant deux ou trois ans dans un contexte politique délétère.

L’ombre d’une paix insaisissable

C'est pourquoi, le 8 février 2023, à la remise du prix à l'ex-chancelière allemande, Angela Merkel, Bédié prenait l'opinion internationale à témoin et tirait la sonnette d'alarme : « J'ai aussi une pensée pour mon pays, la Côte d'Ivoire, qui peine encore à engager un dialogue franc et sincère entre tous ses fils et filles, pour construire une paix durable au service du bonheur de ses populations et de celles de l'Afrique de l'ouest ». Cet appel, afin de « préparer un héritage de paix pour les générations de demain ici même en Côte d'Ivoire », n'a pas franchi les murs de la Fondation Houphouët-Boigny pour la recherche de la paix de Yamoussoukro où se tenait la cérémonie.

Sans compter que non seulement le Prix a un nouveau protecteur, Alassane Ouattara après la disparition de Bédié, mais la remise du Prix, prévue le 24 février 2025, au nouveau lauréat Antonio Luis Santos da Costa, ancien premier ministre portugais, a été reporté sine die. Sans explications, trahissant la stabilité précaire d'un prix sans assises solides comme le Nobel.

Et après toutes ses élections antérieures entachées de troubles graves et de centaines de morts, le pays se prépare à de nouveaux affrontements, le 25 octobre 2025. Et Houphouët-Boigny qui, au soir de sa vie, a joué avec le feu, n'a pas fini de se retourner dans sa tombe que sa mémoire est gravement salie dans l'attaque contre Thiam Cheick Tidjane.

Le Bélier de Yamoussoukro a revendiqué́ les enfants de l'ancien ministre et ambassadeur Amadou Thiam comme ses héritiers directs au regard de la coutume. Ainsi, Thiam Abdoulaye Augustin, l'arrière-petit-fils de sa tante Yamousso, nommé ministre-gouverneur du district de Yamoussoukro, a remporté́ la lutte à la tête de la chefferie des Akoué (territoire de 44 villages) qui l'a opposée à Dahouet Augustin en prenant Nanan Boigny N'Dri III comme son nom de règne.

Cette lignée est refusée, au sein du pouvoir des soi-disant houphouétistes, à son cadet Tidjane, président du PDCI-RDA et candidat déclaré à la présidence. « Son papa est sénégalais, sa maman est sénégalaise. Et parce qu'il a été́ adopté et grandi chez Houphouët-Boigny, on dit : « C'est notre frère ». « C'est faux », a crié́ le ministre délégué Serey Do Célestin, dans sa région du Guémon dont il est le président du conseil régional.

Le silence du gouvernement et du parti au pouvoir indique une totale adhésion à cet « avant-goût de la campagne électorale ». Autant, l'État, dans un communiqué, est monté sur ses grands chevaux, en juin 2019, pour condamner les « propos d'une extrême gravité, appelant à la haine de l'étranger », de Bédié sur les orpailleurs étrangers clandestins et la fraude sur la nationalité́ pour fausser les résultats des élections, autant le gouvernement est resté motus et bouche cousue en février 2025, sur la sortie de son ministre, comme pour lui apporter sa caution. Si un juridisme abscons couvre la nationalité́ du président du PDCI-RDA, les ingrédients se réunissent pour une autre présidentielle sous haute tension et des lendemains explosifs.

F. M. Bally

L’ordre constitutionnel en Côte d’Ivoire exige que M. Ouattara renonce à un 3ème mandat. En effet la constitution du 8 Nov 2016 en son article 55 limite strictement les mandats à 2. Ceux de la communauté internationale qui refusent d’y voir le viol de la constitution ont tort. pic.twitter.com/HG04oBRqO8

— Guillaume K. Soro (@SOROKGUILLAUME) November 11, 2020