Au-delà du symbolisme, cette démarche s’inscrit dans un contexte de reconquête de légitimité internationale pour le RN, tout en suscitant de vives réactions tant au sein de la communauté franco-israélienne que dans le paysage politique français.

Une visite chargée d’histoire

Jordan Bardella, désormais figure de proue du RN, est le premier dirigeant de l’extrême droite française à être reçu officiellement en Israël. Sa présence dans ce pays, historiquement associé à la lutte contre l’antisémitisme, paraît paradoxale au vu du passé du Front national, dont les racines remontent à l’ère de Jean-Marie Le Pen.

La visite de Bardella se fait d’autant plus marquante qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une conférence de lutte contre l’antisémitisme, organisée sous l’égide du gouvernement israélien et du ministre de la Diaspora, Amichai Chikli.

Cette initiative gouvernementale, visant à renforcer les liens avec des partis d’extrême droite européens, illustre une volonté affichée de normaliser et de légitimer ces mouvements aux yeux de la scène internationale.

La stratégie de dédiabolisation en question

À première vue, la visite de Bardella semble symboliser la fin d’une ère de dérapages antisémites, amorçant ainsi une réorientation vers une image plus « normalisée » et acceptable politiquement. Dans une interview accordée au Jérusalem Post, Bardella n’hésite pas à évoquer le passé français en qualifiant le régime de Vichy de « tache très sombre sur l’histoire de France ».

Cette référence historique, qui pourrait paraître sincère, doit être interprétée comme une tentative de distanciation des excès du passé pour mieux s’inscrire dans une dynamique de modernisation du discours du RN.

Cependant, malgré ces efforts, certains intervenants restent sceptiques quant à cette transformation. Pour Noémie Issan Benchimol, juive et franco-israélienne, « l’histoire juive récente, notamment l’histoire de la destruction des juifs durant la Seconde Guerre mondiale, et l’histoire même du parti politique français Rassemblement national, anciennement Front national, prouvent qu’on a nettoyé la devanture, mais que les liens sont encore profonds.

Il n’y a pas de véritable prise en compte. Mais un positionnement extrêmement cynique d’instrumentalisation ». Ces propos dénoncent une normalisation jugée superficielle, voire cynique, qui ne saurait masquer les affinités idéologiques persistantes entre l’extrême droite et certains milieux politiques internationaux.

Réactions partagées au sein de la communauté franco-israélienne

La réception de Jordan Bardella en Israël a provoqué une division nette au sein de la communauté franco-israélienne. D’un côté, certains voix modérées tentent de relativiser en affirmant que Bardella ne représente pas l’extrême droite dans son ensemble.

Mordechaï Seba, résidant à Jérusalem depuis près de 30 ans, exprime ainsi : « Pour moi, [Jordan] Bardella, ce n’est pas un facho. » Il explique que son choix pour le RN s’inscrit plus dans un sentiment de désillusion face aux alternatives politiques actuelles, notamment Emmanuel Macron et Jean-Luc Mélenchon, qu’en une adhésion idéologique ferme aux valeurs de l’extrême droite.

D’un autre côté, les critiques ne se font pas attendre. Des protestations sont prévues à l’endroit où Bardella doit prononcer un discours contre l’antisémitisme et l’islamisme. Des militants dénoncent ce qu’ils perçoivent comme une « tombée de tabou » et une légitimation dangereuse des discours xénophobes et racistes. Un intervenant passionné déclare d’ailleurs : « On fera honneur à la tradition républicaine d’aller manifester et de dire notre désaccord à leur présence et à cette tombée de tabou ». Cette mobilisation témoigne de la fracture que génère la visite de Bardella, à la croisée des enjeux identitaires, politiques et mémoriels.

Un jeu d’influences à l’échelle internationale

La présence de figures politiques de partis d’extrême droite européens, tels que des eurodéputés de Vox, des représentants des démocrates suédois ou encore des membres du Fidesz hongrois aux côtés de Bardella, souligne l’ampleur de ce mouvement de reconquête politique.

Le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahu, lui-même confronté à des défis judiciaires devant la Cour pénale internationale pour la gestion de la guerre à Gaza, se présente comme un acteur majeur dans ce jeu d’influences. En accueillant ouvertement des représentants d’extrême droite, Israël affiche une stratégie de rapprochement avec des forces politiques qui, malgré leurs controverses, cherchent à consolider leur pouvoir à l’international.

Pour le RN, cette conférence constitue une aubaine stratégique. En s’alliant avec Israël, le parti tente de s’inscrire dans une dynamique de normalisation et de crédibilité sur la scène mondiale. La visite de Bardella, donc, ne se limite pas à une démarche symbolique ; elle fait partie d’un projet plus vaste de reconquête de l’espace médiatique et politique, visant à influencer l’opinion publique et à asseoir une légitimité internationale.

Une normalisation contestée et ambivalente

L’analyse de cette visite officielle met en lumière la complexité des stratégies de communication déployées par l’extrême droite française pour se redéfinir et gagner en légitimité. Si la démarche de Bardella en Israël peut être interprétée comme une tentative de réconciliation avec un passé lourd, elle révèle également les tensions et contradictions inhérentes à cette stratégie. Entre efforts de dédiabolisation, critiques virulentes des acteurs de la communauté franco-israélienne et jeu d’influences international, cette visite illustre à la fois l’ambition et l’ambivalence qui caractérisent la nouvelle ère du Rassemblement national.

Alors que certains voient en Bardella une figure moins radicale que ses prédécesseurs, d’autres dénoncent une instrumentalisation cynique des discours politiques. La conférence de lutte contre l’antisémitisme organisée à Jérusalem devient ainsi le théâtre d’un débat bien plus vaste sur l’avenir de la politique en France et sur les contours de la démocratie à l’ère de la polarisation. En définitive, cette visite officielle de Jordan Bardella en Israël n’est pas seulement une étape dans la normalisation du RN, mais également un révélateur des fractures profondes qui traversent le paysage politique contemporain, tant en France qu’à l’international.